Dans cette rubrique, Art Consult Expert vous propose de découvrir une sélection d’artiste à venir.

Rencontre avec l’art brut et le Creative Growth

Présentation d’une sélection d’œuvres d’Outsiders du Creative Growth Art Center, centre d’art d’Oakland, notamment

Dan MILLER, Dwight MACKINTOSH, Donald MITCHELL

 

 

Définir ce que l’on nomme « art brut » n’est pas une tâche aisée. Les appellations même entourant ces créateurs sont multiples : art brut, art singulier, art hors-les-normes, art en marge, Outsider Art, Flow Art, Raw vision… ; autant d’appellations que de définitions qui y sont rattachées.

Jean Dubuffet (1901-1985) définit le terme « art brut » dont il est l’inventeur comme  « l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions » [*]. Il rassemble dans cet ensemble « les ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique » [*]. Des nuances ont été apportées à cette définition par Jean Dubuffet lui-même, tant être exempt de tout conditionnement culturel semble impossible.

Malgré la singularité de chaque auteur d’art brut et la diversité des matériaux et supports utilisés, certaines caractéristiques permettent de définir l’art brut : quelle que soit la position que l’on adopte dans le débat actuel relatif à l’art brut, tout le monde s’accorde sur le fait que les auteurs d’art brut sont le plus souvent isolés, enfermés dans un monde unique, solitaire. Qu’ils soient marginaux, autistes, handicapés mentaux, détenus, mystiques, ils inventent des univers déroutants, mystérieux en utilisant les objets et matériaux qui les entourent quitte à les subtiliser si nécessaire. Ils n’ont pas de volonté de reconnaissance même si certains auteurs d’art brut tels qu’Auguste Forestier, A.C.M. ou Augustin Lesage éprouvent le besoin de montrer leur production.

Leurs créations, obsessionnelles, compulsives, spontanées, sont le fruit d’une pulsion vitale, d’une nécessité profonde, impérieuse, de l’ordre de l’intime. C’est cette fulgurance dans le processus de création qui est à l’origine du choix de cette exposition, la liberté qu’elle exprime, l’émotion qu’elle suscite en nous tout autant que les questionnements. L’authenticité des créations d’art brut, la sincérité manifeste qui s’en dégage nous bousculent autant qu’elles nous bouleversent parce qu’elles touchent à l’essence des choses et à l’intériorité pure.

Longtemps simplement catalogué comme « l’art des fous », l’art brut ou « Outsider Art » n’est plus considéré comme une production singulière d’auteurs marginaux mais a bien sa place dans l’histoire de l’art, comme en témoigne les nombreuses expositions qui lui sont consacrées ; il est nécessaire dès lors de considérer qu’un dialogue est possible entre les créations d’art brut et les œuvres d’art moderne ou contemporain. Dan Miller, un des auteurs présents dans cette exposition, en est le parfait symbole tant son travail poétique et abstrait est expressif.

De notre rencontre avec l’œuvre de Dan Miller, Dwight Mackintosh ou Donald Mitchell est née l’idée de cette exposition « Rencontre avec l’art brut et le Creative Growth » dont l’élaboration n’aurait été possible sans le Creative Growth Art Center et sa représentante à Paris, Gaëla Fernández, que nous remercions sincèrement pour son aide précieuse.

Cette exposition présente une sélection d’œuvres de ces trois auteurs ainsi que d’autres créateurs du Creative Growth Art Center : Luis Aguilera, Franna Lusson, William Tyler, George Wilson et Kerry Damianakes. Notre volonté étant de créer un parcours initiatique, chaque univers emportant son propre mystère, d’autres auteurs représentatifs de l’art brut viendront compléter cette sélection.

Judith Montes, Directrice d’Art Consult Expert

Dan MILLER (né en 1961 à Castro Valley, Californie)

Dan MILLER - 2013

Souffrant d’autisme, Dan Miller fréquente le Creative Growth Art Center depuis 1988. Utilisant peu le langage dans sa vie quotidienne, les mots tout comme les chiffres sont à la base de son œuvre. Il les dessine au crayon, stylo, feutre ou à la peinture, les uns sur les autres, formant une nébuleuse obscure et mystérieuse, envahissante et légère, semblant soumise à un mouvement perpétuel.

Son attention se focalise ainsi de manière obsessionnelle sur des objets tels qu’une ampoule, des personnes, des lieux ou des aliments ; il les représente de manière répétée, superposant en couches successives les formes nées de cet amoncellement, usant des couleurs afin de créer de la matière, de la texture et ce jusqu’à l’illisible.

Dan Miller utilise également une machine à écrire et construit des suites de mots qui sont autant de signes d’un langage codé qui lui est propre. Là encore, il superpose ces signes réinterprétés en sur-imprimant les caractères et en intervenant sur le passage du papier dans la machine, créant des compositions très graphiques.

Qu’il s’agisse de ses dessins en noir et blanc ou de ses compositions utilisant divers matériaux, Dan Miller produit une œuvre puissante, touchante, complexe ; un cri muet qui résonne en nous. Si les fascinantes obsessions de Dan Miller peuvent faire écho aux œuvres de Cy Twonbly, Jackson Pollock ou encore Roman Opalka, son œuvre échappe aux débats, abat les frontières et nous plonge dans une interrogation exaltée.

Dwight MACKINTOSH (1906, Hayward, CA – 1999, Berkeley, CA)

Dwight MACKINTOSH - 1980

Handicapé mental du fait d’une lésion du cerveau postnatale, Dwight Mackintosh est interné très jeune. Il passe toute sa vie d’instituts en centres psychiatriques jusqu’en 1978, année durant laquelle il intègre le Creative Growth Art Center. S’il a commencé à créer tardivement (à l’âge de 72 ans), Dwight Mackintosh a multiplié de manière obsessionnelle les compositions (dessins, peintures et céramiques) durant ses années passées au centre et ce jusqu’à sa mort.

L’un de ses sujets récurrents est le corps humain illustré par ses « boys », ces garçons nus aux joues écarlates et aux longs cheveux noirs touffus dotés d’un sexe exagérément grand en érection, représentés le plus souvent en groupe, en rang ordonné. Le contour des personnages semble se dédoubler et se multiplier et il attache une attention toute particulière à leur bouche, nez, yeux, sourcils et nombril ainsi qu’à leurs doigts et orteils. Fréquemment dans ses dessins de garçons, des perles reliées entre elles sur un ou plusieurs rangs apparaissent. Ce qui pourrait ressembler de prime abord à un collier ou à une barbe serait semble-t-il des amygdales, comme s’il introduisait une vision au rayon X à l’intérieur de leur corps. Sa manière très personnelle et originale de représenter les visages est extrêmement expressive.

Il dessine également des véhicules à moteur transparents (trains, bus, voitures), des anges et plus rarement des animaux imaginaires. Son travail inclut aussi une documentation très singulière illustrant des vues avant et après amygdalectomie, ayant lui-même subi une opération chirurgicale des amygdales.

Dwight Mackintosh n’utilise jamais un seul point de vue et adopte une vision radiographique des sujets qu’il représente. Ceux-ci s’accompagnent presque toujours d’une suite d’écritures énigmatiques qui semblent flotter au-dessus, autour ou en-dessous d’eux – au  départ, ses inscriptions apparaissaient en surimpression – comme une longue phrase interminable, incompréhensible, indéchiffrable.

L’historien d’art John MacGregor est l’un des premiers à avoir reconnu Dwight Mackintosh en tant qu’artiste Outsider et a écrit un essai sur son travail, soulignant combien ses dessins sont puissants et inspirés par la réalité intérieure de leur auteur, ces images qui le hantent et qu’il manipule par un processus de création complexe et imaginaire où le trait et la forme sont totalement réinventés.

Donald MITCHELL (né en 1951 à San Francisco, Californie)

Donald MITCHELL

Artiste afro-américain, Donald Mitchell fréquente les ateliers du Creative Growth Art Center depuis 1986. Il a vécu toute sa vie entouré de sa famille et ses dix frères et sœurs. Très timide, Donald Mitchell a peu de contacts, préférant le murmure à la parole au point qu’on ne l’entend pas. Donald Mitchell est perturbé par des épisodes hallucinatoires depuis qu’un bus l’a percuté dans son enfance.

Le travail de Donald Mitchell a évolué. Il a d’abord été enclin à envahir totalement la page de champs entiers de hachures ou de coups de pinceau qu’il répétait de manière obsessionnelle et systématique, recouvrant totalement le fond et dissimulant toute trace d’image sous-jacente sous une masse de traits sombre. Progressivement, il a laissé apparaître çà et là un visage ou une forme.

C’est à présent une foule de personnages mystérieux qui envahit le support de création, tantôt statiques et pensifs, tantôt en mouvement ; anonymes, semblant plongés dans le silence, ces armées de figures humaines nous interrogent. Ces silhouettes sont indépendantes ou se chevauchent en pelotons horizontaux ou en rangs verticaux et leur regard fixe implorant nous interpellent. Donald Mitchell semble donc davantage s’intéresser aujourd’hui à la situation de ses créatures dans l’espace – mais également à la distance laissée entre eux –  qu’à son sujet lui-même. Il semble désormais vouloir sortir du brouillard sa créature imaginaire.

Vous pouvez télécharger le dossier de presse « Exposition Rencontre avec l’art brut et le Creative Growth – 13 décembre 2014 – 31 janvier 2015 » en cliquant ici.